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La pertinence du jeu de rôles et la réticence des enseignants (Éloïse SIMONCELLI-BOURQUE)

jeudi 13 janvier 2011, par Éloïse SIMONCELLI-BOURQUE

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Article extrait de la Lettre du GRAINE n°19, 2010.

Éloïse SIMONCELLI-BOURQUE (Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’UQAM).


Depuis 2001, la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’UQAM conçoit et publie quasi annuellement une ressource pédagogique d’éducation relative à l’environnement et à la solidarité internationale destinée au milieu scolaire. Les premières «  trousses pédagogiques  » proposaient le jeu de rôles comme élément déclencheur, avant d’opter pour un autre...

Ces ressources pédagogiques, conçues pour répondre aux programmes d’études québécois, documentent et outillent les enseignants pour aborder différentes thématiques (mondialisation des économies, eau, alimentation, énergie, santé, etc.) avec leurs élèves tout en proposant des approches et stratégies pédagogiques variées et novatrices (jeu de rôles, étude de cas, édition d’un journal, conte, pièce de théâtre, etc.). Ces productions visent à informer et sensibiliser enseignants et élèves et à les amener à prendre part à la construction d’un monde plus respectueux de l’environnement, plus juste et plus solidaire.


Les différentes ressources pédagogiques que nous avons conçues à ce jour se composent d’un élément déclencheur visant à susciter l’intérêt des élèves pour la thématique abordée et à initier une première réflexion et d’un recueil d’activités complémentaires permettant d’approfondir les connaissances et les réflexions, stimuler une motivation à s’engager dans l’action et développer sa pensée critique tout en contribuant à développer les compétences du programme en vigueur. L’élément déclencheur, pour obtenir une résonance suffisante de la part de l’élève, questionne l’expérience personnelle du jeune par rapport à un enjeu donné.

Le jeu de rôles comme élément déclencheur


La stratégie du jeu de rôles comme élément déclencheur d’une première réflexion a été privilégiée pour les trois premières ressources que nous avons réalisées. Pour concevoir un jeu de rôles sur des thématiques aussi vastes que la mondialisation, l’alimentation, l’eau ou l’énergie, nous effectuons d’abord une recherche documentaire exhaustive afin d’en saisir les enjeux et d’en avoir une compréhension globale. Ensuite, nous déterminons le concept du jeu, les sous-thèmes à aborder ainsi que les enjeux à traiter. Selon les choix effectués, nous définissons les rôles qui sont élaborés dans une fiche rôle. Dans cette dernière, l’histoire du personnage et sa fonction sont narrés et ce, en intégrant des informations réelles traitées selon le point de vue et les opinions propres au personnage. Puis, pour chaque rôle, nous élaborons une fiche actions qui décrit en plusieurs temps les actions que le personnage devra poser au cours du jeu, l’amenant à interagir avec les autres personnages. Les personnages devront donc poser les actions prescrites, mais auront aussi la liberté de modifier le cours des choses à leur guise en posant d’autres actions qu’ils jugeront nécessaires et conformes à leur rôle.

Après le jeu, une animation rétroactive

Au cours du jeu, des traces des actions doivent demeurer. Celles-ci seront exploitées lors de l’animation rétroactive. Il s’agit de traduire par des transformations tangibles les conséquences des actions prises par les participants ; par exemple : un journal sur le tableau de la classe, de l’échange de bien de consommation et d’argent, des dessins sur des plans illustrant les modifications apportées au territoire, des eaux brunies de colorant pour illustrer la pollution ou la contamination,…

Les élèves sont enthousiastes...

Bien que ces jeux de rôles pourraient fort bien être utilisés dans des contextes non formels (milieux non scolaires) autant avec des jeunes qu’avec des adultes, nous les avons conçus plus spécifiquement pour le milieu scolaire. L’expérience nous a montré que le jeu de rôles s’avère un outil pédagogique privilégié pour stimuler chez l’élève une prise de conscience et une réflexion sur des enjeux environnementaux complexes et pluridimensionnels dans une perspective mondiale. En incarnant un personnage, l’élève se place dans une réalité différente de la sienne. L’espace de liberté qu’offre le jeu permet à l’élève de vivre une expérience qui éveille des émotions et le confronte à ses valeurs. Ainsi, par le jeu de rôles, l’élève intègre des savoirs en faisant appel à ses capacités tant affectives que cognitives. Le jeu de rôles, en confrontant chaque élève à une dimension particulière du thème abordé par l’incarnation d’un rôle spécifique, permet, au bilan, de porter un regard d’ensemble sur la complexité, les enjeux et les différentes prises de positions. Enfin, lors de l’animation rétroactive, les élèves ont l’occasion d’exprimer les émotions vécues (injustice, frustration, colère, compassion, solidarité, etc.), de tisser des liens entre les divers éléments de savoirs existants, de développer un discours et de se positionner. Les nombreuses expérimentations des jeux de rôles que nous avons effectuées en milieu scolaire nous ont montré que cette stratégie pédagogique s’avère efficace pour susciter la réflexion, la curiosité, l’étonnement et le dialogue. C’est assurément une bonne introduction et une bonne entrée en matière si on en juge par la participation enthousiaste et les réflexions des jeunes en général qui, visiblement, apprécient ce type d’activité.

Les enseignants sont réticents

Toutefois, bien que la phase de jeu du jeu de rôles soit conçue pour se dérouler sans l’intervention d’un animateur ou d’un enseignant, l’expérience nous montre que les enseignants hésitent à vivre cette expérience tant qu’ils ne l’ont pas eux-mêmes expérimentée ou qu’ils n’ont pas pris connaissance de l’ensemble des fiches (plus de 60 pages). Effectivement, la majorité des enseignants sont mal à l’aise à l’idée de laisser aller leurs élèves dans une activité où chacun d’entre eux est appelé à suivre des consignes différentes que l’enseignant ne peut ni maîtriser, ni gérer. Cependant, les enseignants qui ont expérimenté le jeu de rôles en tant que joueurs, bien qu’ils ne connaissent pas les contenus et les actions de l’ensemble des rôles, comprennent que le jeu fonctionne sans intervention extérieure. De plus, s’étant familiarisés avec la problématique abordée, ils se sentent d’autant plus aptes à l’utiliser en classe. En raison de ces constats, nous avons établi un partenariat avec la Biosphère (1) qui a intégré le jeu de rôle Eau tour du monde à une formation sur l’eau offerte aux enseignants anglophones et francophones d’un océan à l’autre du pays.

Nonobstant, nous croyons qu’il serait grand temps que les programmes de formation des enseignants intègrent le développement de compétences relatives à l’exploitation de stratégies pédagogiques novatrices, qui permettent de dynamiser la classe autour de questions vives et qui font appel à la transdisciplinarité. Ceci dit, la réticence initiale des enseignants vis-à-vis du jeu de rôles nous a amenés à choisir le documentaire (pour le secondaire) et le conte pour enfants (au primaire) comme éléments déclencheurs des ressources pédagogiques que nous avons conçues par la suite.

Il n’en demeure pas moins que le jeu de rôles, par sa forme ludique, éveille l’intérêt d’une majorité d’élèves et ce, peu importe leur habileté scolaire. De plus, le jeu de rôles demeure une stratégie pédagogique de choix pour initier chez les élèves une prise de conscience et une réflexion sur des enjeux de société complexes. Reste à trouver le moyen de convaincre les enseignants d’oser s’y engager…


1 Le musée de l’environnement de Montréal.

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Elements bibliographiques :

- Eau tour du monde. ERE-UQAM, 2006. http://www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM/eautourdumonde/

- Le monde à table… J’y mets mon grain de sel. ERE-UQAM, 2006.
http://www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM/lemondeatable/

- De quoi j’ai l’air ? Qu’est-ce que je porte ? Qu’est-ce que je supporte ? ERE-UQAM, 2004.
http://www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM/Dequoijailair/

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